L'eau, cet incommensurable cadeau…

     La chaleur montait. Mon pas s'alourdissait. Des coulées de sueur inondaient mon dos… Marcher virait au supplice. Accablé, je me concentrais sur les pattes fluettes du dromadaire qui me précédait. (…) Nous escaladâmes des roches, empruntâmes un chemin encaissé puis Abayghur [notre guide] se figea. Un mètre en contrebas, il nous désignait une source d'eau qui reposait, transparente, lisse, onctueuse… Il sourit à la nappe vivante, profonde, cristalline, comme s'il retrouvait une amie et, attendri, s'accroupit au-dessus d'elle. Puis il m'incita à approcher. Nous trempâmes nos mains. L'eau coulait entre nos doigts, précieuse, telle de la poudre l'or. Chaque goutte représentait un miracle. Lentement, Abayghur se pencha, rassembla ses paumes en coupe et but. Heureux, il m'engagea à l'imiter… Je m'abreuvai avec une sorte de respect sacré, le sentiment de m'initier à un mystère, la boisson, cet incommensurable cadeau.

Eric-Emmanuel Schmitt

La Nuit de Feu, Ed. Albin Michel